FORGEARD Alfred Jules

 

 

 

 

Alfred, Jules Forgeard est né à St Briac le 27 septembre 1886 second fils du C.L.C.  cap-hornier  Jean-Baptiste Forgeard, deux de ses frères, marins, disparurent en mer.

 

Inscrit provisoire le 8 octobre 1899. son premier embarquement est du 12 octobre 1899  sur le 4-mâts PERSEVERANCE.

Inscrit définitif F°2945, N° 5890.

Il navigue à la voile de 13 ans à 24 ans comme mousse, novice, matelot léger et officier avec interruption de  12 mois pour le service militaire (Breveté Elève en 1907) sur le BRENNUS et le BOUVET et 18 mois pour les études, il est Capitaine au Long Cours en 1911 ayant accompli 68 mois 2 jours au Commerce , 12 mois 11 jours à l’Etat , 2 mois 11 jours à la petite pêche.

 

Il effectua  seize passages du Cap Horn sur les  voiliers : 

sur le 4/M PERSEVERANCE,

sur le 3/M BABIN CHEVAYE.

sur le 3/M ACONCAGUA.

sur le 3/M ADOLPHE comme 2° lieutenant (6 avril 1908 au 14 février 1909)

sur le 4/M TARAPACA comme 2° lieutenant  ( 26 février 1909 au 2 décembre 1909)

sur le STRASBOURG comme1° lieutenant (24 décembre 1909 au 5 février 1910)

 

Il quitte alors la Compagnie Bordes pour les vapeurs de la Havrais Péninsulaire qui exploite la ligne Le Hâvre, Marseille, Madagascar, La Réunion. Lieutenant sur le s/s VILLE DE MAJUNGA en 1913, il reçoit la Médaille pour l’avancement des Sciences du Bureau Central de la Météorologie de Paris, à la suite d’observations faites en mer.

 

Durant la guerre de 1914 il effectue des transports de troupes et de matériel, il est à New-York,  Salonique, Arkangelsk et participe, en novembre 1916, à un engagement avec un sous marin ennemi au retour de ce port.

 

Reourné à la Hâvraise après la guerre il reçoit en 1921 le commandement du s/s VILLE DE TAMATAVE et commande ensuite, VILLE DE DJIBOUTI et, VILLE DE MARSEILLE.

 

Alfred Forgeard  reçut la Médaille d’Honneur des Marins du Commerce, le 20 décembre 1927, pour avoir sauvé le s/s VILLE DE MARSEILLE du cyclone du 3 mars 1927 à Tamatave. Le Gouverneur Général de Madagascar était venu le féliciter à bord et un témoignage officiel de satisfaction avait été attribué à tout le personnel du navire. Le 6 juillet 1929. il  devint chevalier de la Légion d’Honneur. 

 

Après 14 ans de commandement, il fut nommé chef d’Armement au Havre, poste qu' il occupe de 1935 à 1950 totalisant 50 années de Services dans la Marine Marchande.

 

 Le Capitaine Forgeard est décédé le  18 janv 1983  à   Saint-Briac . Pour son petit-fils Noël, le Capitaine Forgeard avait raconté  sa carrière à la voile, ce texte très intéressant est reproduit ci-dessous, on ne s'étonnera pas d'y lire l’explication de termes marins, bien connus de tous les Cap Horniers, mais le petit-fils avait à l’époque 10 ans !).

 Mémoires du Commandant ALFRED   FORGEARD

écrites pour son petit-fils  NOËL FORGEARD

 

 

Je suis né à St Briac, le 27 sept 1885. Mon Père était Capitaine au Long Cours. Nous étions 4 frères, tous marins. Marins précoces, mes camarades et moi-même avions déjà fait une expédition ! Partis en caisse à savon, le courant nous avait entraînés au-delà des limites de la cale, heureusement des pêcheurs nous rattrapèrent à temps.

 

A l’époque, mon père commandait l’ATLANTIQUE et mon frère Jean-Baptiste naviguait avec lui. Il me déconseilla vivement de naviguer avec mon père " tu seras le plus malheureux du bord ", m’avait - il dit. J’embarque donc avec monsieur Pierre Hareng, de St Briac, ami de mon père et commandant du 4/M  PERSEVERANCE. Je monte au calvaire des marins pour le trouver et lui demander mon engagement. Je redescends, je remonte, je n’ose pas entrer, je me décide, il m’engage comme mousse : " Prépare ton sac ! " (ce n’était pas un bavard !). Le samedi, j’étais encore à l’école, et je partais le dimanche après midi, à 14 heures, par le courrier.

 

J’avais 13 ans et 12 jours. C’était en 1899. J’étais à Dinard, accompagné de mon camarade Ledépensier, (il en était à son 2° voyage) et qui pleurait à chaudes larmes. J’étais en grande forme, un paquet de cigarettes dans ma poche, et j’avais bu un petit verre en faisant mes adieux. Train à Dinard à 3 heures, j’arrive le lendemain midi à Dunkerque. Je vais à bord. Le bateau était en cale sèche. Nous y allons de la gare en voiture, car nous étions chargés : j’emmenais avec moi mon matelas, ma malle, mes bottes, mon ciré ! J’embarque ! Je pose mon sac sur le panneau, et premier, je monte dans la mâture : veux-tu descendre !  me dit le second. La prochaine fois, tu auras affaire à moi !

 

Nous touchons 3 mois d’avance. Départ à vide, remorqués par un remorqueur Hollandais. Nous chargeons du charbon à North Shields (sur la Mer du Nord, en Angleterre ). Puis appareillage pour Iquique, au Chili, à la voile. Les vents étaient d’ouest, nous sortons de la Manche en louvoyant. Je fus malade dès le début. Les matelots m’appelaient : Jean Bart (j’étais tout petit ). Nous eûmes un accident : la vergue de hunier fixe cassa en arrivant au cap Horn, et un homme tomba et se tua. Je lus la prière quand nous l’immergeâmes !

 

La traversée dura 100 jours.. En arrivant à Iquique,  déchargement du charbon, nettoyage des cales, et embarquement de salpêtre. Nous revenons à Dunkerque, en 3 mois. Je n’avais pas assez d’argent pour rentrer chez moi, aussi je dus faire un deuxième voyage sur PERSEVERANCE. Le voyage précédent était le dernier du Capitaine Hareng, nous changeâmes de commandant et nous voilà sous les ordres du Commandant  X.   Il avait réussi un très beau voyage pour ses débuts, sur un 3-mâts, et se vit confier un 4-mâts. Malheureusement, il commença à boire durant la traversée. En arrivant au Chili, l’équipage voulut déserter. Il partit presque en entier, une nuit, et on dut le faire ramener par la police. Il refusa de travailler et c’est la "bordée du milieu " : officiers, charpentier, novice et mousse qui dut hisser les voiles pour sortir du port. L’équipage reprit le travail par la suite, mais il était pénible de travailler dans ces conditions. J’étais mousse avec le neveu du capitaine, et il nous appelait parfois en pleine nuit pour faire des rédactions.

 

En arrivant à Dunkerque, le Capitaine fut  remercié et l’équipage amnistié. J’avais cette fois assez d’argent pour rentrer à St Briac : Tout le monde me dit que j’avais rapetissé. Je restais un moment, pris quelques leçons chez un instituteur de St Lunaire.

 

J’embarquais à Nantes sur le  BABIN CHEVAYE , en 1901, commandé par Monsieur Robert de Dinard. Il avait quitté l’armement Bordes, à la suite du naufrage du TARAPACA dans le sas de La Pallice. A la suite d’une faute du remorqueur, ce bateau se creva malencontreusement, contre un escalier de pierre. D’ailleurs, ce monsieur Robert s’avéra très bon capitaine. J’embarquais avec lui comme novice, j’avais donc monté en grade. Le bateau était tout neuf, sa construction avait duré 10 mois, (on favorisait beaucoup la construction des bateaux à l’époque). Nous partîmes pour le même voyage, après chargement de charbon en Angleterre, à Port Talbot Les voiliers de l’époque étaient non compartimentés : mieux valait ne pas faire de voie d’eau  !!

 

Traversée mémorable : nous mîmes 130 jours pour aller au Chili, au lieu de 80 à 90 jours. A la suite de vents contraires, nous mîmes 45 jours à doubler le cap Horn! Les vents changeaient sans cesse, nous virions de bord 3 à 4 fois par jour, vent arrière. Mon voilier par vent debout, navigue au plus prés. Pour cela, on oriente les voiles dans le sens du vent. Si le vent vient de bâbord, on dit qu’on va bâbord amure, amure étant par définition le bas de la voile du côté d’où vient le vent. Nous arrivâmes à Iquique. Au mois d’août, il y fait très froid. Les voiliers ne passent pas dans le Détroit,, mais en dessous de la Terre de Feu, par 60 - 61 ° de latitude Sud ( mais attention aux icebergs ! bon-papa n’en vit jamais, mais le père de bonne-maman, lui, en vit).

A notre arrivée, tout le monde nous croyait perdus, corps et biens. Mon frère le croyait aussi, il l’avait vu dans le journal. Malheureusement, c’est lui qui se perdit. Il commandait vers 1924, un vapeur, le PORT DE BREST, chargé de rails et se perdit entre Bordeaux et Dakar.

A Iquique, il n’y avait plus un gramme de peinture sur la coque. Elle était complètement rouillée. Nous restâmes un mois. A l’époque c’était l’équipage lui-même, qui chargeait et déchargeait le bateau, sous l’œil vigilant du réceptionnaire de la cargaison qui cherchait à nous rouler ( ce à quoi nous lui répondions en arrosant le charbon la nuit pour le faire peser plus lourd )

 

Après avoir déchargé le charbon,, nous rentrâmes avec du nitrate. Mauvais temps, Beaucoup de vent, épouvantable tempête au Cap Horn, une des plus dures que j’ai vues, on fut obligé de mettre en fuite : vent arrière, les cales furent remplies d’eau, le salpêtre fondait. On a voulu pomper à la vapeur, impossible. Il fallut vider les cales avec des seaux, tout le dessous de la cargaison fut perdu. L’équipage était très fatigué. On couchait, on mangeait dans la cale, pour ne pas perdre de temps: 2 heures de travail, 2 heures de repos sur place. On essayait de faire route sur Montevideo. On fut démâté du grand mât de perroquet (la partie haute du grand mât ) par une deuxième tempête. On a relâché à Montevideo, les médecins voulurent nous mettre en quarantaine, tant nous avions tous triste mine ! Le Capitaine réussit à les convaincre que nous étions seulement fatigués et non malades.

 Nous sommes restés 3 ou 4 mois en réparations à Montevideo : changer 3000 rivets qui avaient pris du jeu, (d’où la voie d’eau). Nous repartîmes pour Anvers où nous arrivâmes après 16 mois de voyage.

 

Après ce voyage, je suis resté quelque temps à terre, où je pris quelques leçons chez l’instituteur de St Lunaire

 

Je suis reparti sur le GERS en 1903, un 4 mâts, comme matelot léger, vers Port Talbot ( à côté de Cardiff) pour charger du charbon. Il y avait là l’ACONCAGUA . On m’a embarqué sur ce bateau pour remplacer le lieutenant qui venait de se casser une jambe dans la cale. Je fis mes débuts d’officier à 16 ans, sur ce petit 3-mâts avec un capitaine un peu fou qui me fit d’excellents certificats. Nous repartîmes pour le Chili. Les Bordes ne faisaient que ce voyage, car ils avaient des mines de nitrates.

Le maître d’équipage venait raser 2 fois pas semaine le Capitaine. Quand il avait rasé la moitié du visage, il réclamait l’apéritif avant de terminer son travail  ! Sur la côte du Chili,  je conduisais le Capitaine à terre et il nous disait : « allez les enfants, à 6 heures vous viendrez chercher votre petit père ! ».

 

Retour à Nantes. C’est à ce moment là que j’appris que mon frère jumeau, Henri, s’était tué en tombant de la mâture du 4-mâts ANTONIN.

 

Je partis à St Malo au cours d’Hydrographie pendant 2 ans. Je fus collé d’où une 3° année d’études. Ensuite, service militaire pendant un an sur le BRENNUS et le BEAUVAIS à Toulon.

 

En 1906, je suis repartis à la voile à 21 ans comme lieutenant sur le 4/M TARAPACA, toujours vers le Chili, le capitaine s’est mis à boire et a été remercié au retour. Je suis resté quelque temps puis suis repartis sur l’ADOLPHE, le capitaine était de Dinard, puis sur le STRASBOURG, 1909, tous les 3-mâts carrés ou francs qui ont des vergues au mât d’artimon  à la différence des 3-mâts barques qui n’en ont pas, le voyage du STRASBOURG fut mon dernier voyage à la voile. Remorqués de Dunkerque en Angleterre, nous attendîmes au moins 8 jours à Dunkerque, le temps ne permettait pas au remorqueur de nous traîner. Puis, nous chargeâmes le charbon à Port Talbot, destination Chili comme toujours, mais quelques jours après le départ, tempête de N-O-. Nous avons démâté des 3-mâts, d’abord le grand mât cassant à un mètre du pont et il entraîne en tombant une partie du mât d’artimon, le mât arrière. Nous mîmes le Cap sur Belle Isle avec le seul mât de misaine mât avant, mais il n’y avait pas 10 heures que nous avions mis le cap, que le mât de misaine tombait à son tour. Nous arrivâmes quand même vent arrière à Belle Isle, grâce à des barres de cabestan mises debout sur le gaillard  avec des toiles dessus en guise de voiles. Là le navire a été remorqué à St Nazaire où il fut condamné.

 

Ma navigation à voile était terminée, c’était en 1909.

 

Signé : Alfred  Forgeard.